Tambouille pour écrivain

Détourner l’attention du lecteur : le Red Herring

(attention, je te spoile Harry Potter, ici !)

Pour commencer ce fabuleux voyage, on va parler un peu histoire. C’est quoi un red herring?

Tout simplement, c’est un hareng rouge.

Oui, moi aussi j’ai haussé un petit sourcil de surprise en voyant la traduction du truc. En fait, il s’agit d’une diversion. Et pour cause, le red herring était supposément une technique de diversion olfactive pour les chiens. On leur mettait un hareng rouge mort et particulièrement puant sous la truffe pour les détourner des odeurs de lièvres qui traînaient dans la forêt et conserver leur attention sur autre chose. On détournait leur attention, en fait.

En littérature, le red herring, ou la diversion est une technique narrative qui permet de mettre une idée dans la tête du lecteur pour les mener à une conclusion erronée.

Et c’est là que je te spoile Harry Potter à l’école des Sorciers.
Severus Snape est sans le doute le red herring le plus célèbre de l’histoire de la littérature (non, c’est faux, mais c’est surtout le premier exemple qui m’est venu en tête, donc voilà) Tout le long de l’histoire, et ce dès le premier tome, ce personnage ambigu met le lecteur dans l’agréable position du cul entre deux chaises. Tous les indices pointent vers lui : c’est un méchant, un Mangemort, il déteste Harry et veut servir le Seigneur des Ténèbres.
La technique de J.K. Rowling, utilisée avec brio a été de nous faire croire depuis le début qu’il était méchant, alors que … non (même si ça se discute, quand même).

Alors voilà mes quelques conseils pour fabriquer un red herring (qu’il s’agisse d’un personnage ou d’un concept) (comme dans Les Royaumes du Nord, ou le concept de la Poussière est longtemps présentée comme un élément néfaste qu’il faut à tout prix détruire alors qu’en fait, non)

Ton red herring n’est pas un figurant

(Quand je pense au red herring, je pense forcément au “personnage qu’on croit qu’il est méchant, alors qu’en vrai, le méchant c’était pas lui, c’était l’autre”. C’est une erreur de ma part : un red herring, c’est avant tout un fait qui est présenté comme une réalité alors que la réalité est tout autre. Mais pour le bien de mon article, je vais me concentrer sur le personnage.)

Revenons à nos moutons.

Ton red herring n’est pas un figurant : ce que j’entends par là, c’est qu’un personnage qui fait diversion ne peut pas servir uniquement de diversion. Il reste un personnage à part entière qui a ses propres complexités, ses ambitions, ses objectifs, ses valeurs, et un rôle à jouer au sein du réseau de personnages. Il n’y a aucun intérêt à l’intégrer dans une histoire simplement pour détourner l’attention s’il n’est pas aussi bien construit que les autres personnages.

C’est simplement son rôle dans le schéma narratif qui est différent.

Si on revient sur Severus, il avait ses propres objectifs, une histoire. Une personnalité qui lui était propre. Il était pas là à sauter sur place en criant “Hé, les gars, c’est moi le méchant de l’histoire, regardez pas l’autre avec son turban à côté!”

Un red Herring demande une construction

Intégrer un détournement dans “sa boîte à outil de l’écriture”, c’est quand même peaufiner un peu le boulot. Outre le fait qu’il ait un objectif et une personnalité propre, un red herring doit aussi apparaître de manière intelligente dans l’histoire.

Pour que le lecteur croie dur comme fer que tel personne a telles intentions, il faut réussir à le montrer par des scènes explicites. Mais cela peut aussi être dû au ressenti des personnages qui l’entourent.

Dans un roman policier (ou cette technique est utilisée à la pelle à neige) le flic qui mène une enquête peut très bien se mettre en tête que tel bonhomme est responsable des meurtres en série dans sa petite ville. Tous les indices mènent à lui et le flic le sent. Il le sent. Et c’est par l’empathie du lecteur, et aussi par cette listes d’indices probants que le lecteur va aussi se mettre ça en tête.

Et une autre raison pour laquelle une diversion demande un minimum de réflexion, c’est pour la grosse surprise finale. La découverte des véritables intentions, ou de la véritable nature d’un red herring relève clairement du plot twist. C’est un retournement de situation, et pour que la surprise soit grande, il faut que le lecteur (ou les autres personnages) y aient cru dur comme fer.

Une double lecture

J’envisage la diversion comme une lecture à deux niveau.

La première lecture est la “mauvaise”, la plus évidente. La plus naïve. Celle qui lance le lecteur sur la mauvaise piste. L’auteur balance à ses lecteurs tel méchant, ou tel concept et lui dit : les choses sont ainsi.

La seconde lecture est plus subtile. Et pourtant à la relecture, elle est évidente. Le lecteur se dit : mais comment je n’ai pas pu voir ça arriver?! Plus nuancée, cette lecture est parsemée de détails moins évidents, plus rares. Beaucoup moins “bruts” que cette première lecture. Mais c’est aussi comme une plante qui germe dans l’esprit du lecteur, de minuscules détails qui lui font penser “Et si…?”

Et toi, tu as déjà utilisé ce genre de technique ?

 

(6) Comments

  1. Qu’on se le dise Severus Rogue a shotgun la mère de Harry dans les films. Ce n’est pour rien que le Patronus de James Potter est un cerf avec des grandes cornes 😉

    (ça, c’est de la fausse piste qui détonne 😉 )

    1. Lea Hendersen says:

      Raaah je suis partagée sur cette idée ! Snape est un personnage hyper complexe. Ni un vrai gentil ni un vrai méchant.
      Mais je pense pas que ca soit le pere de Harry. Et ce même s’il a fait des câlins sexy avec Lily !

  2. […] à l’autrice Lea Hendersen, j’ai découvert le concept de red herring, une technique de diversion […]

  3. J’adore le personnage de Severus 🙂 En fait, c’est aussi parce que j’ai toujours un faible pour les outsiders, les personnages martyres qui se sacrifient pour une cause, même si ça les pousse à être détestés de tous.
    Pour en revenir à nos moutons, je suis en train d’écrire une histoire où il doit y avoir un “red herring”, mais c’est complexe parce que c’est là dessus que repose toute l’intrigue. J’ai du coup un peu de mal à savoir comment mener tout mon petit monde sur une fausse piste jusqu’à la révélation. C’est un exercice vraiment compliqué mais extrêmement satisafaisant quand on parvient à leurrer ses lecteurs je pense !

    1. Lea Hendersen says:

      Ah c’est clair que c’est pas un exercice facile, je m’y attelle de mon côté. Je pense que c’est une question d’équilibre, entre essayer de convaincre un lecteur de la “culpabilité” d’un personnage, tout en laissant des indices de côté pour semer le doute. Ca s’apprend, et au pire, il y a toujours les bêtas lecteurs pour te dire si ton petit subterfuge a fonctionné ou pas !

  4. […] l’Imaginaire c’est évidemment un peu le bazar : mi-conseils d’écriture (comment détourner l’attention du lecteur ? Comment éviter les clichés chez les personnages féminins ?), mi-réflexions sur l’état […]

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