Tambouille pour écrivain

Écriture et l’art de s’en foutre

Comme nous traversons un période de merde, et qu’en vrai, il faut savoir incorporer un peu de légèreté dans sa vie mais aussi dans son écriture, je vous partage ici un secret de fabrication. S’en foutre, c’est tout un art : il faut apprendre à ne pas trop se prendre au sérieux

Je vois beaucoup de gens, surtout sur les réseaux sociaux, qui ont l’air de beaucoup souffrir de l’écriture. Loin de moi l’idée de juger qui que ce soit, je suis la première à me taper la tête contre les murs quand mon histoire ne va pas dans le sens que je veux lui donner.
Mais pour moi, cette idée vient du fait qu’on prend trop l’écriture au sérieux.

Alors le meilleur conseil que j’ai à donner, c’est un conseil que je me suis donnée : ne vous prenez pas au sérieux.

Un de mes meilleurs amis m’a dit un jour : “Fous-toi la paix.”

Pour vous donner un petit background : j’ai toujours écrit. Je fais vraiment partie de ces auteurs qui vont vous dire qu’ils ont toujours écrit, toujours eu envie d’écrire. Que si on fouille dans leurs affaires, ils vont vous ressortir des dizaines de très mauvais manuscrits qui traînent et qui les ont suivis toute leur vie.
Mon souci, toutefois, c’était toute la pression que je me mettais quand j’écrivais. J’avais tellement envie d’écrire bien, de poser sur le papier des phrases soignées que ça me bloquait et je n’écrivais pas du tout.
Dans un tout autre domaine, l’écriture faisait tellement partie de mon identité, je le sentais tellement tout le temps en moi que ça devenait comme une fonction vitale que je devais activer.
C’était affreusement important.
C’était tellement important que j’ai même arrêté de travailler un jour pour me consacrer à l’écriture. J’étais prête à vivre sous les ponts pour pouvoir écrire. Ecrire jour et nuit.

L’écriture est importante.

Elle est thérapeutique pour celui qui la manipule et pour celui qui la reçoit. Elle est source d’émerveillement, de rire, de colère, de larmes. Elle permet de créer des liens avec des personnages de fictions. Elle construit des ponts entre le réel et l’imaginaire. Certains livres sont même si importants qu’ils nous poursuivent, qu’ils nous hantent toute notre vie.
Et elle est importante parce qu’on la considère parfois comme noble. Comme clairement hors d’atteinte. A la portée uniquement des grands. Une discipline sur laquelle il faut s’acharner pour la maîtriser.

Cela peut prendre des proportions extrêmes, voire ridicule. J’ai le souvenir d’avoir passé des journées à écrire, des heures à refaire le plan de mes romans sans jamais en voir le bout. Pas étonnant qu’on parle d’écrivain maudit, qu’on ait en tête l’image de l’écrivain ou par extension de l’artiste dépressif qui est torturé sa muse.

Mais je le dis et je le rappelle, l’écriture n’est pas importante. Mon écriture, la vôtre, le roman que vous avez écrit, celui que vous écrirez dans dix ans, cela n’a aucune importance.

Alors, attention, je ne dis cela pour casser le moral de personne. J’ai simplement envie d’inviter ceux qui prennent cela trop à coeur à reculer un peu pour prendre la perspective. En tant qu’écrivain, on a besoin de perspective, d’une bigger picture pour voir les tenants et les aboutissants d’une situation. Alors je vous propose simplement de renverser la situation.

L’écriture n’est pas importante

Dans son roman “Comme par Magie”, Elizabeth Gilbert (pour ceux qui voudraient la référence, il s’agit du chapitre “Permission”) nous rappelle quelque chose on oublie trop facilement : les enjeux ne sont pas importants.

Alors, dans un roman, plus les enjeux sont importants, plus l’histoire est prenante, mais dans votre vraie vie, dans la réalité, les enjeux ne sont pas si importants. En vrai, si ce soir, vous n’avez pas écrit pendant les six heures que vous aviez prévues, le monde ne va pas s’arrêter de tourner. Vous n’allez pas en mourir.

Si l’arc dramatique ne vos personnages ne sont pas entrelacés avec les thèmes ou les symboles de votre histoire, ce n’est pas le signe que vous êtes un raté et que vous méritez de mourir.
En fait, tout cela n’a aucune importance.

De même que quand on écrit, surtout dans la bonne vieille tradition littéraire française, tout n’a pas besoin d’être porteur de sens. Tout ne doit pas être lourd de symbole, ou d’émotion. Tout n’a pas besoin d’être intellectualisé, de porter des messages cachés, d’être presque scientifique. En fait, à force de chercher cette perfection, on oublie l’idée de légèreté qui va avec l’écriture et l’art en général. Parfois, l’art ne sert à rien. Il ne sert à retourner le crâne à chaque fois !

Imaginez que chaque objet culturel que vous rencontrez soit un bouleversement intellectuel pleins de symboles et de mystères, de sens, de messages politiques, ou de références, votre tête exploserait. Parfois, on cherche aussi simplement à se distraire, à être ému, à rencontrer quelque chose de plus léger.
L’art ne sert à rien, parfois.

Ce ne sont que des mots que vous utilisez. Des personnages qui sont voués à disparaître. Des mondes imaginaires qui tomberont dans l’oubli. Ce ne sont que des histoires, des feuilles volantes.

Quelque part, écrire n’a aucun sens. Vous ne vous demandez jamais, quand vous écrivez, quel genre de folie est en train de vous porter? Pourquoi vous passez autant de temps devant votre feuille de papier à confectionner quelque chose? Pourquoi vous êtes obsédés par des personnages ou des monde que personne, mais alors personne autour de vous n’a rencontré?

Bon, c’est important ou pas?!

Mais c’est aussi pour cette raison que l’écriture et l’art sont si importants. Ils sont mêmes essentiels. Une fois que les besoins vitaux sont satisfaits, il reste encore ces besoins-ci. Ceux de s’accomplir artistiquement, de faire sortir de soi ces idées, ces sons, ces odeurs qui nous obsèdent. De faire passer des messages qui nous traversent de part en part.

L’écriture ne devient importante que lorsqu’elle est dépouillée dans son importance. Parce qu’elle en revêt une toute nouvelle : elle n’est plus importante pour tous les messages que vous voulez véhiculer, mais parce qu’elle est importante pour vous. D’où l’idée de traiter cette discipline avec respect.

En y consacrant du temps, de l’énergie, parfois de la sueur, mais aussi en sachant dire stop, en y insérant de la légèreté, de l’humour, et parfois, du vide. Parce qu’elle n’est pas importante pour le monde, pour la quête de sens de l’humanité. Mais elle est importante pour vous, pour vous épanouir, pour dire ce que vous avez de dire et vous débarrasser d’un trop plein d’énergie ou d’émotion.

Et pour vous? Quelle importance revêt l’écriture??

(16) Comments

  1. Haha, tu mets le doigt dans le mille !
    Je fais sûrement partie de ceux qui ont du mal à s’en foutre… et qu’en ce moment, j’aurais bien besoin de m’en foutre un peu plus, justement, et de renouer un peu plus avec le plaisir d’écrire !
    (depuis notre dernier échange, j’ai publié un nouvel article où je parle notamment d’émotions et de blocage d’écriture)

    Et en même temps, c’est assez paradoxal comme idée, parce que bon, si on s’en fout complètement, on n’aboutit pas ses projets. Et même si ça nous soulage, là tout de suite, de laisser tomber ce truc qui nous prend la tête, ben à terme on peut être un peu triste de ne pas être allé au bout. En tout cas, pour ma part, je sais que j’ai une capacité d’abnégation et que le plaisir d’aboutir un projet cher à mes yeux dépasse largement les heures où potentiellement j’aurais galéré dessus. Peut-être pour ça que je m’acharne haha (après, oui, de temps en temps faut lâcher prise un peu).
    Donc voilà, je comprends bien l’idée, et quand j’avais lu Elisabeth Gilbert je m’étais oui “mais oui, elle a raison, c’est pas si important”, mais après, la mise en pratique, c’est autre chose…
    Enfin voilà, tu l’auras compris, je suis loin d’être au clair avec cette idée de “c’est pas important” ! En tout cas, merci pour l’article, qui lui, pour le coup, était très clair.

    1. Lea Herbreteau says:

      Moi, ma technique, c’est de m’en foutre à l’écriture du premier jet. Un premier jet est fait pour être imparfait, donc c’est pas grave de se rater.
      La seule chose que je m’impose, c’est ce rendez-vous quotidien avec moi-même pour écrire. Si le contenu n’est pas au rendez-vous, tant pis, je ferai mieux la prochaine fois.
      Les corrections me demandent évidemment davantage de sérieux et de concentration. Là, j’ai un peu plus de pression et cette envie de bien faire qui reprend le dessus.

  2. Comme je n’ai pas toujours écrit, et que j’ai commencé réellement à poser des mots sur une page de traitement de texte en étant persuadée d’être mauvaise (je le suis toujours, n’essayez pas de me convaincre du contraire), l’écriture n’a jamais eu cette importance “vitale” que tu décris.
    Bon, plus tard, j’ai testé une année sans écrire et j’ai failli m’arracher les cheveux, mais sinon ça va XD. Je ne me vois pas quitté un job pour juste écrire… je ne me vois pas arrêter d’écrire non plus.
    Au final, c’est important, mais pas si important. (Cette phrase est claire ? pas sûre…)

    1. Lea Herbreteau says:

      Hahaha… Oui, c’est clair.
      C’est important pour toi, mais c’est pas si important parce que ça va pas changer le monde. Et je te comprends, moi aussi j’ai passé du temps sans écrire et j’étais franchement pas heureuse non plus.

  3. C’est exactement le genre d’articles que j’ai besoin de lire en ce moment.
    Je suis dans la même situation que toi il y a quelques années. Je me fous tellement la pression que je n’arrive pas à cracher la moindre ligne. Ou si je le fais, c’est dans la douleur et le dégoût. Parce que j’ai perdu cette légèreté dont tu parles, ce simple plaisir à créer quelque chose qui nous botte et à s’éclater avec son imagination.
    Tu as bien raison, nous ne révolutionnerons pas le monde avec ce que nous écrivons. Tout le monde s’en fout si on échoue ou si on pond un truc mauvais. La seule personne que nous décevons dans cette histoire c’est nous-mêmes.
    Le problème, c’est que c’est précisément pour cela que je n’arrive pas à m’en foutre. Parce que je veux être fière de moi et que je ne le suis pas quand, en tant que lectrice, je ne me plais pas à moi-même. C’est vraiment quelque chose que j’ai du mal à dépasser…
    Mais je te remercie pour cet article, il m’aide à relativiser un peu plus. J’espère que tout va bien pour toi 🙂

    1. Lea Herbreteau says:

      Merci <3
      Mon conseil, c'est de lâcher du leste à la rédaction du premier jet. En tout cas, c'est ce que j'essaie de faire. Un premier jet a pour vocation d'être imparfait. Correctible. Tant pis s'il est pas terrible, on verra au deuxième jet. Penser comme ça me permet d'écrire sans trop de pression.

      1. Oui, c’est ce que je vais tenter d’appliquer. Je me suis lancée le défi de participer au Camp Nano d’avril ; peut-être qu’avec la pression du nombre de mots à écrire, je ne serai pas tentée de me relire – et donc, de me juger.
        D’ailleurs, est-ce que tu participes à ce genre de challenges ? Je ne sais plus si tu en as parlé quelque part sur le blog.

        1. Lea Herbreteau says:

          Pour Camp Nano, j’aimerais beaucoup participer pour avril.
          En effet, j’y ai jamais participé, parce que je trouve le défi un peu contreproductif (en tout cas quand je l’applique à moi.) Vivre un mois entier avec la pression d’écrire 1700 mots par jours, c’est pas rien. 1700 mots, c’est pas énorme quand on y pense. Mais pour moi, ça représente quand même une grosse cession d’écriture que je ne suis pas certaine d’être en mesure de tenir quotidiennement pendant 30 jours. C’est typiquement le genre de truc qui va me faire culpabiliser si je n’y arrive pas. Donc je préfère m’éviter ce genre de contrainte.
          Par contre, Camp Nano m’a l’air beaucoup plus souple. Je suis en train d’être supervisée par mon maître à penser, Astrid Stérin, pour m’inscrire. Là, je pense me fixer un objectif de 500 mots par jour.

          1. Je te comprends, je pense être incapable de faire un véritable nano à 50 000 mots ! Cela ne correspond pas du tout à mon rythme d’écriture.
            Chouette qu’Astrid participe 🙂 J’espère qu’elle en parlera sur son blog, ça me motivera de la suivre.
            Et 500 mots par jour c’est bien. Je t’encourage fort à participer ! (et à parler de ton avancée, j’adore lire les journaux de bord et les bilans des autres)

          2. Lea Herbreteau says:

            C’est noté, je vous ferai ça ! (Et j’ai aussi passé le message à Astrid 😉)

  4. Ahah, c’est drôle comme article, mon dernier s’appeller l’art de la critique ! Perso, je ne me considère absolument pas comme un écrivain maudit (d’ailleurs, je suis pas un écrivain), je ne souffre jamais quand j’écris, c’est au contraire un plaisir, ça fuse, c’est chouette, et je ne me pose pas 10 000 questions. C’est à la réécriture que je me prends plus la tête, je redécoupe, je lis à voix haute, je retravaille… Mais, effectivement, à part mon chat, ma mère et mon compagnon, tout le monde s’en fiche de savoir que j’avance ou pas dans mon recueil. J’essaie de me mettre des deadlines, mais je suis très laxiste envers moi-même. Par contre, je dois écrire tous les jours, même une liste de courses, ça compte. Celles de Proust claquaient apparemment. Quand je lis PQ, coriandre et champignons sur la mienne, ça remet évidemment mon talent en perspective AHAH !

    Belle journée,
    Sabrina !

    1. Lea Herbreteau says:

      On est un peu pareilles, alors 🙂
      Moi aussi, l’écriture du premier jet est un moment où je me refuse contrainte et prise de tête. J’écris et ensuite, on verra. Par contre, la relecture est toujours un peu plus complexe.
      Et globalement moi aussi tout le monde s’en fout que j’écrive ou pas, mais ça ne m’empêche pas d’écrire. Des articles de blog, une page de mon manuscrit ou carrément mon manuscrit…
      Par contre les listes de courses ultra travaillées, j’ai jamais fait ^^ !

  5. Cyril Destoky says:

    Je trouve que cet article a quelque chose de poétique. Je me suis reconnu dans beaucoup de choses (je commence à avoir l’habitude ici :p) et je trouve que le recul que tu proposes est salutaire. J’ai cette tendance à m’enfermer dans l’écriture frénétique est à me fixer des impératifs irréalistes. Parfois, il faut savoir lever le nez de la feuille.
    Pour répondre à ta question en fin d’article, je crois que l’écriture est ce qui me permet de donner un sens à tout ce que je fais. Comme mes personnages, j’ai un objectif. Comme mes personnages, j’ai des motivations. Comme mes personnages, j’ai des obstacles. Mais parfois, j’en oublie, comme tu le rappelles, qu’il faut savoir lever le pied et remettre les choses en perspective.

    1. Lea Herbreteau says:

      Merci beaucoup !
      En effet, ce recul m’aide beaucoup à écrire régulièrement. Et je pense sincèrement qu’on écrit mieux quand on évite de se mettre trop de pression. Moi aussi je me suis fixée des objectifs irréalistes. Maintenant, je n’ai que des petits objectifs et je parviens à m’y tenir. Et à les dépasser. On verra si ma technique tient dans le temps.
      Bon courage !!

  6. Oh, j’adore cet article !!! J’oscille pour ma part entre m’en foutre et n’être jamais satisfaite par ce que j’écris, jusqu’à me mettre la pression dans ces moments là. Et j’ai en effet remarqué que quand on ne cherche pas à écrire un texte qui serait pour nous parfait ou à correspondre à ce qui est notre “idéal d’écriture” (et surtout pour ce qui est du premier jet), il est bien plus facile d’écrire.

  7. […] plutôt sain, plutôt cool. Ça me permet d’approcher les choses avec plus de légèreté et d’écrire sans me prendre la tête.L’écriture, je lui donne du temps, du sérieux, de l’amour. Mais elle n’est pas […]

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