Tambouille pour écrivain

Qu’est-ce qu’un texte organique?

Dans mon interminable quête de l’écriture parfaite (ahahaha, je vais finir par me provoquer un anévrisme) je me suis posée une question ces derniers jours : qu’est-ce qu’un texte organique?
Par extension, comment écrire un texte/un roman organique?

Pour commencer, je dirai qu’un roman organique est un roman qui tient debout. Un roman où chaque scène, chaque dialogue est nécessaire à l’histoire. C’est un roman qui a un coeur, une tête et des membres. Un roman organique est un corps qui fonctionne en harmonie.
Je ne dis pas, et ne dirai jamais, qu’il s’agit d’un ouvrage parfait ou qui va forcément plaire. D’une narration qui respecte à la lettre les règles de structure.
Je parle ici d’une sorte de cohérence naturelle, d’une osmose, mais qui se veut aussi lacunaire. Parce qu’un texte doit aussi refléter son auteur, ses lecteurs, et le monde qui nous entoure : imparfait.

Alors j’ai réfléchi aux différents aspects qui selon moi (et selon moi, uniquement, je n’ai pas réellement fait de recherches, ici, c’est simplement mon avis) font qu’un roman atteint, non pas la perfection, mais l’idée que toutes les pièces du puzzle forment un ensemble qui tient la route.

Les personnages

Je le dis et je le répète, mais les personnages sont le cœur de toute histoire. Ils sont au centre de tout. Et c’est pour cela qu’il faut les travailler et les retravailler jusqu’à ce qu’ils nous apparaissent comme s’ils étaient devant nous à prendre le café. Un personnage peut nous apparaître avant même le début de la rédaction, mais il peut aussi se dérouler sous nos yeux, au fil de l’écriture.

Mais ce qui importe, c’est qu’un personnage donne une âme au livre. Et pas que : pour qu’un personnage fonctionne dans une histoire, il faut que les personnages autour du personnage (le réseau de personnages) forment un ensemble cohérent. Si deux personnages sont amis ou amoureux, il faut que le lecteur comprenne pourquoi. On ne tombe pas amoureux par hasard, il y a des connexions qui se créent entre les gens. Pourquoi? Comment?

Il en va de même pour ceux qui se détestent. Même là, on a besoin d’une alchimie. Les relations humaines sont complexes, mais elles peuvent s’expliquer pour un rien.
Elle est amoureuse de lui parce qu’il la fait rire.
A. est sa meilleure amie parce qu’elle est toujours là pour elle.
Il ne peut pas blairer Monique parce qu’elle met systématiquement des claquettes avec des chaussettes.

Et pour finir, des personnages qui fonctionnent sont des personnages qui n’endossent pas un rôle, qui ne subissent pas l’intrigue, mais qui sont pleinement qui ils sont. Qui agissent, qui réagissent, qui se trompent, qui se mentent à eux-mêmes. Qui sont pleins de contradiction, parfois lâches, parfois courageux, et ce sont des personnages qui changent.

L’intrigue

Je pense que si j’entends encore parler de système à trois actes je vais me jeter par la fenêtre.
L’intrigue, je pense que c’est mon point faible. J’ai longtemps cru pouvoir y aller à l’instinct, mais avoir l’instinct de la narration n’est pas donné à tout le monde. Et parfois, l’intuition, ça se travaille.
Une intrigue organique est une intrigue qui suit un chemin, mais dont les événements s’enchaînent naturellement. Sans qu’on ait l’impression que l’auteur ou que ses personnages aient forcé le cours de l’action afin de faire avancer le jeu.
Une intrigue est avant tout un jeu de domino, une relation de cause à effet qui s’enchaîne dramatiquement. Et pour que ça marche, il ne suffit pas de mettre les domino les uns à côté des autres, mais de les mettre au bon endroit et de les faire tomber au bon moment.

Si on arrête la comparaison avec des jeux pour enfant de 4 ans, je pense que ça reste assez juste. Une intrigue organique ne doit pas paraître forcée. Si ton personnage est dans un lieu A, et que tu dois l’emmener au lieu B pour qu’il ait une énorme révélation, il ne suffit pas de le pousser du petit doigt en lui disant : “Va là-bas, je te dis, y a pleins de trucs à faire!” que ça va marcher.

Le rythme

Certains livres sont des feux de forêts. Tu l’as bouffé en deux heures, tu l’as fini et tu es KO debout.

D’autres livres sont de longs fleuves où tu te laisses promener, tu admires la beauté du paysage.

D’autres livres sont un astucieux mélanges des deux.

Le rythme se travaille dans le macro et dans le micro. Dans une scène de dialogue et sur l’intrigue en entier.
Le livre “Petit Pays” de Gaël Faye (livre superbe, mais qui ne donne pas le moral, je le dis d’emblée) joue sur le rythme des mots, et moins sur celui des scènes. Evidemment, l’auteur est un virtuose, un rappeur dont le boulot est de faire du rythme avec les mots.
Dans les polars, à l’inverse, le rythme est sur l’ensemble de l’intrigue. L’enquête et le suspense doivent sans cesse apporter des réponses et poser de nouvelles questions pour faire baver le lecteur.

Les dialogues

Ecrire des dialogues ne m’a jamais posé énormément de problème. J’ai une bonne oreille et très peu de filtres. Je trouve que la voix d’un personnage peut être facile à retranscrire quand on connaît bien son personnage et qu’on accepte de lâcher prise.

Les personnages font des fautes de français. Ils disent “si j’aurais su”, ils bafouillent, ils se répétent, ils n’utilisent pas le passé simple. Certains bouffent leurs mots, d’autres les choisissent minutieusement. C’est une partie de l’écriture que j’adore, et ce que j’aime encore plus, c’est ajouter des détails, du langage corporel autour qui donne une vision complète d’une scène.

Pour qu’un dialogue soit organique, il faut qu’on y retrouve ces cafouillages, ces faux départ. Mais aussi les contradictions des personnages, quand ils ne disent pas réellement ce qu’ils pensent. Cela reflète leur personnalité et leurs intentions.

La voix de l’écrivain

Et pour finir, et je pense que cela peut être porté à débat, un texte organique est aussi un texte qui a une voix. On reconnaît chaque auteur à sa façon de plonger ses mots sur le papier, de les organiser, de les déconstruire et de les interpréter. A sa façon de faire de l’humour ou de créer du drame.

Une voix ajoute une interprétation au texte, un point de vue caché. C’est comme la signature en bas d’un tableau qui vient compléter l’oeuvre. Sans la voix de l’auteur, on lit simplement un texte académique sur la reproduction des vivipares en milieu aquatique.

 

Il s’agit juste de mes petites réflexions. Si vous avez d’autres suggestions, lancez le débat dans les commentaires!!

(6) Comments

  1. Haha, l’infamie du passé simple ^^
    J’aime bien tes réflexions sur la dynamique autour des personnages, je me demande si c’est quelque chose que je mets suffisamment en avant, il faudra que je vérifie.
    Par ailleurs, je sais que je dois beaucoup plus travailler mes dialogues en réfléchissant aux enjeux des personnages dans la scène, ce que chacun cherche à obtenir de l’autre et ce qu’ils ne veulent pas dévoiler. J’ai tendance à avoir des personnages trop sincères qu’ils disent tout ce qu’ils pensent alors que tu as raison, ça peut être beaucoup plus intéressant s’ils ne le font pas !

    1. Lea Hendersen says:

      (Je me remets pas de ton article, il m’a fait vraiment beaucoup rire!)
      Quand j’écris un dialogue, j’essaie d’être aussi instinctive que possible, mais l’idée de prendre en considération les enjeux et les objectifs des personnages pendant qu’ils parlent, c’est… c’est pas mal ! J’ai pas trop de mal à ne pas trop les faire parler, parfois parce que j’ai trop, (genre : beaucoup trop) tendance à vouloir retenir des informations. Donc c’est pas terrible non plus.

  2. Je rejoins ton analyse, sauf sur un point : les cafouillages du langage. On peut choisir le vocabulaire, les expressions et un certains nombre de chose, mais le texte doit rester lisible sans trop d’effort. J’ai rencontré il y a quelque temps à un livre ou un personnage s’exprimait en langage paysan. Chaque phrase nécessitait une réflexion pour la comprendre. C’était tout sauf un moment de délassement, ce que je recherche en priorité dans la lecture. Quand en feuilletant quelques pages, je me suis rendu compte que c’était un personnage important et qu’il utiliserait ce langage jusqu’au bout, j’ai renoncé au roman.

    Ce genre de texte est amusant à ecrire, mais peu agréable à lire. Pour exprimer le niveau de langage d’un individu, je préfère utiliser des termes imagé, vulgaire, voire d’inventer des mots ou des expressions évocatrice que de le faire parler en bafouillant ou en replaçant des sons par d’autres.

    1. Lea Hendersen says:

      Je vois bien ce que tu veux dire. Dans la traduction française de Game of Thrones, il y a des passages entiers où des personnages s’expriment dans un langage très rudimentaire. Et la retranscription était tout simplement illisible. Donc je sautais les dialogues parce que clairement, ça m’ennuyais. Il faut pas non plus oublier que d’écrire un bouquin, c’est pas du théâtre. On est supposé lire, c’est pas de l’oral. Il faut faciliter la lecture au maximum, tout en restant cohérent avec l’histoire et les personnages.
      Donc je te rejoins tout à fait sur ce point!

  3. Rachel says:

    “Je pense que si j’entends encore parler de système à trois actes je vais me jeter par la fenêtre.” Rien que pour cette phrase je t’aime, je n’aime vraiment pas (plus) la structure en trois actes même si ça peut être utile au début…
    En tout cas c’est un excellent article, surtout pour la voix de l’écrivain et le rythme!

    1. Lea Hendersen says:

      Oui, c’est utile au début d’apprendre les structures en trois actes. Bouffer de la théorie pour pouvoir… l’envoyer chier après et écrire comme on veut. L’écriture c’est pas une science exacte, en tout cas, je pense pas.
      Merci beaucoup pour ton commentaire et pour tout l’amour que tu mets dedans !

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